Je n’esquisse pas l’ombre d’un sourire à sa remarque moqueuse. Je me demande simplement comment j’ai fait pour m’y habituer si vite, au point que je m’y attendais presque. Notre ébat est terminé, il est temps de refermer cette parenthèse qui n’aurait jamais dû arriver mais qui n’en était pas moins plaisante. Ceci étant dit, il n’est pas utile de s’y attarder puisqu’on sait tout les deux que ça ne veut strictement rien dire.

Il se redresse le premier. Je ne tarde pas à l’imiter tout en sentant une immense fatigue m’envahir. J’ai retrouvé mon souffle mais le sommeil frappe à présent à ma porte et rien qu’en pensant à la route que j’ai à faire jusqu’à mon appartement, je sens un certain découragement m’envahir. Quant à appeler un taxi, ce n’est même pas la peine d’y penser vu le quartier dans lequel on se trouve.

J’attrape moi aussi des mouchoirs pour essuyer la semence qui couvre mon bas ventre et acquiesce lorsqu’il me conseille de retourner prendre une douche. Je ne l’aurais pas volé celle-là. Je prends mon courage à deux mains et m’extrait du canapé pour retourner dans sa petite salle de bain. Je n’y reste pas longtemps, juste le temps de me débarrasser des fluides qui couvrent mon corps. Je lui emprunte ensuite une serviette puis retourne dans l’autre pièce pour lui emprunter des vêtements. Alors que je fouille dans ses tiroirs, une bonne odeur me chatouille les narines et je réalise alors qu’en plus d’être épuisé, je meurs de faim. J’avais pourtant diné pendant ma pause au casino… mais il faut dire que ma nuit n’a pas été de tout repos et que mon sandwich date d’il y a plusieurs heures.
« J’espère que ces vêtements ne te manqueront pas trop. »
J’enfile un sous-vêtement ainsi qu’un t-shirt avant d’ajouter :
« Je te les rapporterais propres la prochaine fois. »
Je prends également un jeans que je n’enfile pas immédiatement.
« Pour demain soir… »
En fait je devrais plutôt dire tout à l’heure car je ne suis pas certain qu’il reste grand-chose de notre nuit.
« Je garde les billets d’entrée et je me débrouillerais pour trouver une voiture. Tu veux que je passe te prendre ici ou bien tu me rejoints directement au Casino ? Je finis mon service à 21h. Je ne suis pas à plein temps et tu as de la chance, je ne bosse pas toute la nuit demain soir.»
J’hésite puis finis par m’habiller complètement. Après tout, je ne vais pas passer toute la nuit ici. Ce ne serait pas raisonnable. Une fois prêt, je commence à rassembler mes vêtements ensanglantés, formant un furoshiki avec ma veste du côté le moins tâché, alors que mon estomac de son côté commence à se manifester de manière pour le moins bruyante.

Je me fige à sa remarque, comme pris la main dans le sac. Surpris et en proie à un étrange sentiment de culpabilité, je ne sais quoi dire ni lui répondre. Ce n’est pas tout à fait ça et penser qu’il puisse se faire une fausse idée de moi me gêne pour ne pas dire m’agace. J’aimerais m’expliquer mais je tarde trop à le faire et il enchaine en m’invitant à manger avec lui. Terriblement embarrassé, j’acquiesce et m’assois à mon tour sur le canapé, celui dans lequel quelques minutes plus tôt nous étions en train de nous étreindre.

Pour ne pas y penser je me concentre sur mon assiette avant de jeter un coup d’œil à la sienne que je ne trouve pas très garnie. Il s’en rend rapidement compte et m’explique qu’il a un appétit de criquet, me gratifiant au passage d’une référence sortie tout droit d’un film d’animation d’une autre époque. Je ne le savais pas cinéphile ou en tout cas amateur de vieux dessin animé. Décidément ce type est plein de surprise et ne ressemble à aucun garçon que j’ai pu rencontrer jusqu’à présent. C’est peut-être ce qui me déstabilise le plus chez lui. Je n’arrive jamais à prévoir correctement ses réactions comme s’il ne répondait à aucune logique. Même sa proposition de rester me surprend… quoiqu’au final elle tombe sous le sens. C’est moi qui ne me comporte pas normalement à vouloir m’en aller comme ça, au milieu de la nuit sans aucune explication mais aussi et surtout après ce qui s’est passé. Comme si dans le fond, je n’assumais pas ce qui était arrivé entre nous.
« Non tu as raison. C’est complètement stupide de vouloir rentrer maintenant. En plus je tombe de sommeil. »
Je finis mon assiette. C’était simple mais bon. Au final c’était exactement ce qu’il me fallait, un peu comme tout ce qui vient d’arriver cette nuit. Comme si tout était fait pour me remettre en selle. Le scénario parfait… Trop peut-être et c’est sans doute pour ça que je suis tellement sur la défensive.
« Merci pour le diner. C’était très bon. La prochaine fois, c’est moi qui t’inviterais. Dans une autre vie j’ai bossé dans les cuisines d’un restaurant et j’ai appris à faire quelques petites choses étonnantes et délicieuses. »
En tout cas Tsunade adore ma cuisine et c’est sans doute ce qui l’aide à me supporter.
« Je suis désolé pour tout à l’heure. Si je t’ai donné l’impression de vouloir m’enfuir. Ce n’était pas le cas. Je ne suis pas comme ça. On va dire que je suis simplement devenu un peu sauvage ces derniers mois et j’ai oublié comment bien me comporter avec les gens. Pour résumer et sans entrer dans les détails, ma vie est un peu compliquée mais tu auras peut-être l’occasion de t’en rendre compte si tu restes suffisamment avec moi. »
Parce qu’à Meguro, on ne risque pas seulement d’y croiser des molosses, on y croisera beaucoup de gens qui me connaissent et ils ne me portent pas tous dans leurs cœurs pour diverse raison.

Je lui propose de débarrasser mais également de laver la vaisselle. Il m’offre l’hospitalité, une douche chaude, des vêtements propres, un orgasme et même un diner, alors je peux bien laver quelques assiettes et couverts. C’est disons la moindre des choses surtout après lui avoir donné l’impression que je voulais m’en aller sans demander mon reste.
« Au fait, tu connais bien Meguro ? Tu y es déjà allé ? »

Non mais ce type n’est pas croyable. Il ne peut juste pas me laisser être gentil avec lui et faire sa vaisselle ? Il est encore vexé pour tout à l’heure ? Et cette phrase toute faite sur la vie compliquée à Tokyo. Oui je sais que tout le monde n’a pas une vie facile ici et je ne cherchais pas à me plaindre mais visiblement ce n’est pas le genre de personne à qui murmurer quelques confidences. Et je me garderais bien de le faire. Après tout, on est dans une ville où on ne sait jamais à qui on a à faire et dans laquelle les informations ont bien plus de valeur que l’argent lui-même.

Lorsqu’il me dit qu’il connait bien Meguro, une question vient immédiatement me bruler les lèvres. Comment et pourquoi ? Qu’est-ce qui pousse un honnête citoyen à explorer ce genre de quartier ? Si bien sûr il s’avère être un honnête citoyen et ça, ce n’est pas certain. De mon côté je ne le suis plus tout à fait et si je n’y prends pas garde, je pourrais bien finir yakuza malgré moi…

Quand il revient de la salle de bain pour me faire un topo de ce qui va nous servir de lit, je me contente d’hausser les épaules tout en retirant le jeans que j’avais enfilé un peu trop vite tout à l’heure. Je serais plus à l’aise pour dormir sans.
« Ne t’en fais pas, j’ai connu bien pire qu’un canapé pour dormir. »
Je n’en ai pas l’air mais j’ai déjà dormi dans la rue. Je n’en suis pas très fier mais c’est comme ça. En l’espace de quelques mois, je suis passé de fils pourri gâté à fils renié.

Je m’installe à côté de lui, dos à sa personne de préférence. Je n’ai pas spécialement envie de m’endormir avec son sourire moqueur comme dernière image.
« Si j’avais peur que tu m’touches, je n’aurais pas pris de douche avec toi. »
Et nous n’aurions pas fait tout ce qui a suivi. De toute façon je suis un grand garçon et le grand méchant loup, je l’ai déjà rencontré depuis longtemps.

Sa dernière remarque me déride un peu. On dirait que monsieur fait soudain un effort et j’ai du mal à réprimer un sourire. Décidément, il me faudra bien plus qu’une nuit pour réussir à le cerner mais également pour savoir si j’aime sa façon d’être ou si je déteste ça.
« Je te paierais autant de coup que tu voudras si on revient vivant demain soir de notre petite expédition. »
Dans le meilleur des cas, on se contentera d’être spectateur. Dans le pire, on se retrouvera dans le labyrinthe avec ces satanés chiens de l’enfer et là… Pas sûr qu’on en revienne vivant. C’est sur cette pensée que je commence à sombrer dans un sommeil bien mérité après tout ce qui s’est passé en l’espace de quelques heures.

Je ne sais pas quelle heure il est et je m’en fiche. Je suis encore fatigué et je veux continuer de dormir, rien qu’un peu. J’ai l’impression que ma nuit était trop courte et que je n’ai pas suffisamment récupéré. En plus je suis très bien où je suis. C’est confortable et chaud. Je crois que je pourrais rester comme ça toute la journée même si je sais qu’il faudra bien que je me lève pour aller à la fac. Je dois rendre un devoir et discuter avec un professeur. Et puis je dois bosser un peu ce soir. Pfff… je crois que j’ai besoin de vacances mais ça ne sera malheureusement pas pour tout de suite. Je ne peux même pas faire la grasse matinée !

J’entrouvre un œil puis l’autre. Je ne suis pas vraiment réveillé mais ça va venir. Je me rends déjà compte que mon oreiller n’est pas normal et c’est déjà un bon début. Après tout, a-t-on déjà vu un oreiller qui bouge au rythme d’une respiration ? Non, ça c’est plutôt le torse de quelqu’un. L’information remonte lentement jusqu’à mon cerveau sans que ça ne me perturbe particulièrement. Je ne suis pas suffisamment réveillé pour ça. Et puis je suis gay. Si je me réveillais à côté d’une femme, là ça serait inquiétant et bizarre. Mais non, je suis au lit avec un mec, donc tout va bien. Quoique… ce n’est pas tout à fait un lit et puis on est habillé. Ah… je réfléchis trop alors que je ne suis pas encore tout à fait réveillé et que mes paupières sont particulièrement lourdes.

Je pousse un soupir d’aise tout en resserrant mon étreinte sur le corps qui me sert de doudou et aussi d’oreiller. Ça fait longtemps que je n’avais pas dormi avec quelqu’un. La dernière fois c’était… je n’ai pas spécialement envie d’y penser et de m’en souvenir, par contre les évènements de la nuit dernière me reviennent très distinctement en mémoire en même temps que l’identité du mec que j’enlace. Aina…

Je relâche doucement mon étreinte tout en ouvrant les yeux. Fini de trainer au lit. C’était bon et j’aimerais dormir encore un peu mais il doit être déjà tard. Pour le moment je ne sais pas si Aina dort toujours alors je fais attention lorsque je commence à me détacher de lui, histoire de ne pas le réveiller s’il est encore dans les bras de Morphée.