J'ai un rendez-vous très spécial cet après-midi. L'homme que je rencontre pourrait bien devenir un gros client de mon organisation. Les Rapaces commencent à avoir bonne réputation auprès des yakuzas les plus influents de la ville. Et nous ne manquons pas de travail. Après tout dans une ville comme Tokyo tout le monde a besoin d'un groupe d'intervention entrainé et efficace. Nos détracteurs nous collent l'étiquette de mercenaires mais ça ne me dérange pas. J'ai simplement une nuance à faire : nous ne sommes pas sans foi ni loi. Nous avons des règles et un code d'honneur. C'est en fonction de ça que j'accepte ou pas les contrats. Celui que nous propose ce yakuza a l'air bien trop juteux pour être honnête et j'ai l'impression qu'il ne nous dit pas tout. Faire affaire avec quelqu'un en qui on n'a pas totalement confiance, c'est compliqué. Voilà pourquoi j'ai mis au point ce stratagème. Reste à savoir si la jeune personne que je fais venir ici sera partante.  

J'ai fait envoyer une voiture jusqu'à l'Okiya avec des instructions bien précise. J'ai besoin d'une geisha pour nous servir du thé et nous tenir compagnie le temps des échanges mais je ne veux pas n'importe qui. Je veux un garçon, beau et élégant. J'ai donné d'autres critères à mes hommes et normalement la geisha en question ne devrait pas tarder.  

On frappe à la porte du salon privé que j'ai réservé dans une maison de thé traditionnelle d'Asakusa. C'est lui. Je le fais entrer. Il est beau, poli et il se dégage de lui un certain charme. J'imagine que si j'avais été un homme j'aurais été envouté mais ce n'est pas le cas, je suis une femme qui aime les femmes et je crois que ça se voit même si mon côté très androgyne laisse souvent planer le doute quant à mon sexe.
« Assis-toi. Mon partenaire d'affaire n'arrivera pas avant une bonne heure et j'aimerais discuter un peu avec toi avant.»
J’aime savoir avec qui je vais travailler. C’est une question de principe. Je n’ai d’ailleurs pas l’habitude de traiter les gens comme une marchandise. Pour moi cette geisha est une artiste, comme toutes ses semblables même si certaines se livrent occasionnellement à de la prostitution. Lui ? Je n’en sais rien. Ça ne faisait pas parti de mes critères. J’ai choisi une geisha qui plaira à mon partenaire d’affaire en me basant sur ce que mon réseau d’information m’avait fourni. J’espère que nous avons visé juste. En tout cas pour le moment je suis satisfaite de ce que je vois. Il présente bien, reste à savoir comment il sert le thé bien que je ne doute pas qu’il le fasse à la perfection.
« Je m’appelle Kurosaki Kei et je suis le chef du groupe qui se fait appeler les Rapaces. Avant que mon client n’arrive, j’aimerais qu’on fasse connaissance et en savoir un peu plus sur toi, à commencer par ton nom. »

Ito Kiyoshi... Ce garçon a une bonne tête et il me plait bien. Je suis également certaine qu'il ne laissera pas de marbre mon client mais c'est pour ça que nous l'avons choisi. D'ailleurs j'aurais à féliciter mes hommes, ils ont fait du bon travail en le choisissant. J'allume une cigarette et prends le temps de la savourer tout en l'observant. Il faut vraiment que j'arrête cette saloperie. C'est ce que je me dis à chaque fois que j'en allume une mais pour le moment, on ne peut pas dire que j'ai vraiment réussi à arrêter. J'ai malgré tout nettement diminué ma consommation. C'est déjà une victoire en soit.  
« Parfait alors ça sera Kiyo-kun.»
J'esquisse un sourire tout en continuant de le détailler, cherchant du regard une imperfection qui n'existe pas. Mon client est parait-il un homme exigeant. Il appréciera d'avoir à ses côtés un garçon si bien fait.  
« Quel âge as-tu Kiyo-kun ?»
Avec son maquillage, j'ai du mal à lui estimer un âge. Il m'a l'air en tout cas bien plus jeune que moi.  
« Tu es l'air en tout cas de bien connaitre ton métier. »
D'ailleurs s'il fait l'affaire, il sera présent à chaque fois que je rencontrerais ce type, surtout s'il lui tape dans l'œil et j'espère que ça sera le cas. Cela facilitera les négociations même si on peut dire que d'une certaine manière l'affaire est déjà entendue. Reste un dernier point à vérifier et j'avoue que je ne sais pas comment le lui demander. Je ne suis pas pudique et je prends rarement des pincettes avec les gens sauf avec les délicates fleurs et Kiyo-kun en est une. Ce statut n'étant pas uniquement réservé aux femmes, du moins à mon humble avis. Bref, j'ai peur de le froisser et qu'il me trouve intrusive et en même temps je ne vais pas tourner autour du pot pendant des siècles.  
« Avant que tu ne me racontes en détail comment tu as commencé dans le métier, j'ai besoin de savoir si tu fais partie de ces geishas qui couchent avec leur client. »
Bravo Kei ! Tu ne pouvais pas être plus subtile ni ambigüe à la fois !  
« Entendons-nous bien. Je ne te demanderais pas de coucher avec moi. Je n'aime pas les hommes mais le type qui va bientôt arriver, aime les beaux garçons comme toi. Il n'est pas du genre à se payer une prostituée ou une escort, il préfère les geishas. J'imagine qu'il les trouve plus subtile. Alors j'ai besoin de savoir jusqu'où tu serais prêt à aller pour lui plaire. Bien entendu tu seras payé en conséquence à la condition qu'il n'en sache rien. »

J’écoute en silence son histoire, du moins ce qu’il veut bien me confier. J’imagine qu’il ne s’agit que d’un infime fragment de ce qu’il est mais surtout de ce qu’il a été. Pour le moment, cela suffira. D’ailleurs dans un sens je suis rassurée. Je n’aime pas emmener d’innocente âme sur ce genre de chemin mais puisqu’il pratique déjà la prostitution de luxe, il ne devrait pas trop s’offusquer par mes propositions. Le marché sera honnête et je le paierais bien pourvu qu’il se montre à la hauteur de mes exigences. Là où le bas blesse, c’est sur sa sécurité. Il est d’accord pour coucher avec mon client à la condition de ne pas être en danger. Son inquiétude est légitime. Son joli minois est son gagne pain. Une geisha ne gagne pas seulement sa vie en ayant de bonnes manières et en étant de bonne compagnie. Elle doit aussi plaire et charmer. Il a la chance d’être naturellement beau et je devine sans mal la beauté qui se cache derrière ce maquillage de façade.
« J’aimerais te promettre que cet homme ne te fera pas de mal mais je ne peux pas. »
J’écrase mon mégot avant de reprendre.
« Je ne le connais pas. C’est la première fois que je travaille avec lui. Ce qui est certain c’est qu’il est riche et qu’il a de bonnes manières. Il n’a pas l’air d’être du genre à molester ses amants même d’une nuit, malheureusement je n’ai aucune garanti à te fournir. »
Et c’est justement pour ça que j’ai besoin de son aide.
« Si j’avais la certitude que cet homme est fiable, je n’aurais pas besoin de toi. »
Je pousse un profond soupir et consulte ma montre. Nous avons encore du temps devant nous.
« J’aimerais que tu sondes cet homme. Que tu le juges. Tu n’as au finalement pas besoin de coucher avec lui si tu ne veux pas. Je veux juste que vous passiez un moment en tête à tête. Tu as l’habitude des hommes, surtout des yakuzas. Je te paierais donc pour ton jugement. Je paierais les frais et la gêne que cela aura occasionné, y compris si pour le faire tu auras été obligé de grimper dans son lit. Encore une fois, je te laisse juge. Tu n’as aucune obligation d’accepter. J’attends simplement de la discrétion de ta part. »
Je sors une enveloppe que je pose sur la table avant de la pousser doucement vers lui.
« Pour ta discrétion. Une autre suivra si tu acceptes de passer du temps en tête à tête avec cet homme et qu’ensuite tu me dises ce que tu en auras pensé mais surtout si je peux lui faire confiance. »

L’espace d’un instant j’ai cru l’avoir froissé et d’une certaine manière c’est peut-être le cas mais ça ne l’empêche pas de prendre l’enveloppe que j’ai poussée vers lui et de la ranger. J’esquisse malgré moi un sourire, l’affaire est entendue et ce qu’il me dit me conforte dans cette idée même si je ressens le besoin de me justifier. Je n’ai jamais aimé utiliser les autres tels des pantins. Ce n’est pas ma manière d’agir. Je suis quelqu’un de franc et je n’ai jamais eu peur de rien ni de personne. Malheureusement dans ce monde si on veut survivre, il faut parfois faire de concession et aujourd’hui je fais une entorse à ma manière d’agir en employant ce garçon de la sorte.

Lorsqu’il me propose de lui faire visiter l’établissement, je saute sur l’occasion. Faire quelques pas nous fera du bien à tout les deux. Je me lève la première puis lui tends la main pour l’aider à se relever. J’ai beau être une femme, ici c’est lui la fleur fragile et je dois avouer que j’aime ce genre de situation, lorsque les rôles classiques sont inversés.
« Il y a un jolie jardin attenant à notre salon. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai demandé cette petite pièce privé pour mon entrevu de tout à l’heure. Allons y faire quelques pas avant de visiter le reste du salon de thé.»
Une fois debout, je lui propose mon bras. J’ai beau être parfois un peu rude, je n’en suis pas moins pourvu de bonnes manières avec ceux que je considère méritant.

Une fois dans le petit jardin intérieur, je prends une profonde inspiration, profitant ainsi de l’air frais et pur mais également du parfum délicat des fleurs.
« Tu as dit tout à l’heure que je n’avais pas besoin de te payer autant mais tu te trompes. Ce que je te propose ne me ressemble pas. Je n’aime pas risquer la vie des autres. Surtout de ceux plus faibles. »
Il ne s’agit pas ici d’une critique mais d’une vérité. Il est une geisha et je suis un yakuza. Je suis donc plus forte que lui. Plus dangereuse aussi. Et lui, qu’a-t-il pour se défendre si ce n’est sa beauté et sa délicatesse ?
« Si je pouvais faire autrement je le ferais. Mais sache que tu gagneras plus que de l’argent. Tu rends servir aux Rapaces aujourd’hui. Mon gang ne l’oubliera jamais et le moment venu, nous saurons te retourner ce service. Après tout, tu n’as pas encore de protecteur puisque tu acceptes de te prostituer. Tu n’en cherches peut-être pas mais le moment venu, je saurais t’aider à en trouver un. Je t’ouvrirais au nécessaire mon carnet d’adresse. »
Mais avant ça, il devra se montrer à la hauteur de mes attentes.

« Ce jardin est minuscule. Montons à l’étage. La vue depuis certains salons privés y est intéressante. »

J'aime cette maison de thé. Derrière son côté traditionnel, elle dissimule mille et un trésors et c'est un vrai plaisir d'y passer de longues heures. Avec le temps et l'habitude, j'ai fini par ne plus vraiment y prêter attention mais à travers les yeux presque enfantins Kiyo, je redécouvre ce lieu chargé de magie. Il existe encore à Tokyo des endroits beaux et paisibles. Qui pourrait croire en se promenant ici que la misère et la violence règnent à seulement quelques quartiers de là ? Nous sommes au final dans un tout autre monde dans lequel l'homme qui se promène à mon bras semble évoluer à merveille. Il existe dans cette ville des créatures qui méritent d'être préservées et ce garçon en fait partie. C'est aussi pour ça que je me bats, pour les plus faibles, n'hésitant pas à écraser sans le moindre scrupule les salopards que je croise sur ma route.  
« Je suis contente que l'endroit te plaise. Nous pourrons revenir prendre le thé ensemble ici. Après une grosse journée de travail, j'ai parfois besoin de tranquillité et il n'y a qu'une seule sorte d'homme dont j'apprécie la compagnie. »
J'esquisse un sourire pour lui faire comprendre que je parle des garçons comme lui. Les autres sont tous des brutes qui méritent à peine mon respect. Tous à penser avec leur queue et n'ont pour la plupart aucun respect pour les plus faibles mais aussi pour les femmes. C'est sans doute l'une des raisons qui me pousse à être si sévère avec mes hommes. Tous me sont fidèles mais je sais qu'il leur arrive à se demander si ça ne serait pas mieux d'être dirigé par un homme. Être une femme dans ce monde est bien compliqué. Pourtant, je suis assurément bien plus forte physiquement que mes hommes de mains, même si je ne paie pas de mine comme ça.  Après tout, ce n’est pas pour rien que je suis le chef des Rapaces.

« Et toi ? Que fais-tu lorsque tu ne travailles ? Qu'aimes-tu faire pour te changer les idées une fois que tu as quitté tes clients ? »
Les Geishas sont des êtres chargés de mystères bien différentes des escorts de Chuo. Et ce garçon sans doute plus que les autres. Pourtant il n'est pas le premier du genre que je rencontre. Les femmes font peut-être légion dans le métier mais il existe beaucoup d'homme l'exerçant. Après tout à l'origine, ce métier était réservé aux hommes et il est donc normal de les voir réapparaitre.