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Je sors à sa suite de la douche, me sèche comme il faut et déplore l'état de mes cheveux après nos activités peu reluisantes. J'ai tenté de les préserver, mais ah...c'était à prévoir. Ils allaient de toute façon finir dans un état pitoyable ce soir, alors tôt ou tard...rien ne change, non?

Je hausse un sourcil en me tournant vers mon aimé, qui a ouvert une deuxième porte dont j'ignorais l'existence jusque là. Elle semble mener dehors...mais...? C'est...

"...wow."

Je ne sais pas quoi dire. C'est magnifique. Je n'ai plus vraiment l'impression d'être à Tokyo, plutôt...dans un endroit particulièrement traditionnel. De petits rochers entourent un bassin peu profond à l'eau limpide, brassée par une petite cascade. Des plantes vertes côtoient des sculptures étranges d'animaux fantastiques. Il fait chaud ici, même si nous sommes peu couverts; la faute à la vapeur qui s'échappe du bassin. L'eau semble particulièrement chaude. Je n'ai pas l'habitude...mais je pense que nous allons tout de même nous y baigner.

"Un...onsen? C'est ça? J'en avais encore jamais entendu parler...c'est courant dehors? Ca ressemble à une piscine, mais...en beaucoup plus joli...propre...et moins profond."

Tout ce que je connais des bassins artificiels, c'est la piscine de Nakano à l'eau mille fois trop chlorée pour éviter les bactéries. Je n'aimais pas m'y rendre pour les cours de natation à l'école, ça me piquait la peau et les yeux. Le sel de la mer me fait parfois la même sensation...j'espère que cette eau-là n'est pas aussi irritante, c'est beaucoup trop désagréable!

"Euh...on est seuls, hein...? Je veux dire...il ne risque pas d'y avoir d'autre gens qui vont venir...?"

Je me doute que nous n'allons pas nous baigner en maillots de bain, sinon Yoshi les aurait sûrement emmenés. Alors...nous serons dans notre plus simple appareil. Mais...je refuse qu'un autre homme puisse voir mon corps hideux. Seul mon mari en a le droit, c'est tout. Je laisse glisser le peignoir de mes épaules, découvrant progressivement mon corps fin aux cicatrices nombreuses. Quand bien même il le connaît déjà par coeur, je sens le regard de mon aimé dans mon dos alors que je m'approche du bassin pour tâter la température de l'eau. Elle n'a pas l'air si chaude que ça finalement, ça pourrait être agréable...c'est le but, non? J'entre dedans et me laisse aller, fermant les yeux et soupirant légèrement au passage. Je me sens si bien! Tellement bien que j'en oublie instantanément mes soucis. Plus de Tomoe, plus de pudeur, plus de vestiges du passé, plus de Tokyo. Seulement ce bien-être et la sensation de proximité avec Yoshimaru...qui s'est d'ailleurs empressé de me rejoindre pour se coller à moi.

"C'est trop bien, Yoshi...tu me vends du rêve là, tu sais?"

Je crois que je peux marquer ce jour d'une croix comme étant l'un des plus beaux jours de ma vie, avec notre séjour hors des murs de Tokyo.

EXORDIUM.

Je suis soulagé qu'il m'apprenne que personne ne peut nous voir, nous interrompre. Je le sens si proche, dans le plus simple appareil...est-ce que nous allons déjà remettre le couvert? J'en doute, il ne veut pas déjà couper court à notre petit moment détente. Je m'en veux de penser ça...mais c'est vrai que c'est quand même plus calme sans les enfants. Je n'ai pas à courir partout pour que Nagato n'oublie rien pour l'école demain, ou pour chercher le jouet de Tomoe-chan qui l'a balancé je ne sais où dans le salon, pour préparer le dîner à temps, laver le linge, repasser les costumes de Yoshi...ah, je suis déjà exténué rien que de me souvenir ce que j'ai laissé à la maison. Je m'enfonce un peu plus confortablement dans l'eau, tandis que mon mari s'éloigne de moi. Je crois qu'il lui faut une sorte de barrière physique pour ne pas me sauter dessus, là. C'est amusant.

"Hmm...mais je veux pas qu'elle se fatigue trop vite dans la journée, ça la rend grognon et tu sais pas ce que c'est que d'essayer de s'occuper d'une Tomoe grognon."

Cette petite a du caractère, et elle me le fait bien sentir parfois. Lorsque je l'oblige à manger sa purée de légumes mais qu'elle préfère essayer de piquer dans l'assiette de son frère, elle me fait souvent une colère qui résulte en une assiette pleine de purée par terre. Du coup, j'évite de la faire manger avec nous maintenant. Je m'occupe d'elle, et ensuite je m'occupe des deux autres. Ca la fait manger très tôt pour que Yoshi ait le temps de dîner avant de partir travailler, mais...pour l'instant, ça semble lui aller.

"Et puis elle a pas besoin de marcher pour le moment, je suis là. Et ça me fait pas tant mal au dos que ça...c'est juste que j'ai pas de force, du coup j'ai du mal à tenir sur la durée parfois."

Ce n'est pas pareil que de baiser avec son mari, après tout. Mais de toute façon, j'ai mes petites pilules pour tenir le coup, maintenant. Je ne risque plus de tomber dans les pommes de fatigue avec un bébé dans les bras, au risque de lui faire vraiment mal. Yoshi ne comprendrait pas si je lui expliquait, alors c'est mieux qu'il ignore cette nouvelle facette. Je veux seulement être un bon père pour mon bébé...et aussi pour Nagato, qui n'est pas encore assez autonome même s'il serait capable de vivre sans nous sans problème. Il n'irait plus à l'école et serait complètement désorganisé, c'est tout. Je m'approche de mon aimé et me blottis contre lui, dans ses bras puissants, à la recherche d'un peu d'amour.

"Yoshi...tu crois que j'en fais trop? Je veux absolument leur rendre la vie plus facile, et...je veux pas qu'ils soient comme les gosses de Shinjuku, sans repères et obligés de se débrouiller seuls pour tout et n'importe quoi. Je sais pas comment on fait pour être parents, alors...bon. Je veux pas faire d'erreurs."

Je n'ai droit qu'à un seul essai, ne?

EXORDIUM.

Yoshimaru me rassure une nouvelle fois, et je me détends un peu plus dans ses bras. Il est vrai que la chose que Tomoe retiendra de sa petite enfance, ce sera sûrement l'amour qu'on lui a porté. Quant à ce que pensent les autres autour de nous...Yoshi comprend très vite que c'est ce qui me dérange le plus, actuellement. Qu'on puisse oser dire que ma fille ne devrait pas grandir avec une putain, quand bien même c'est très courant dans les bas quartiers. Seulement voilà, ce sont les bas quartiers...à l'évidence, tout le monde pense que nous avons tous eu des parents irresponsables si nous sommes devenus drogués, putains ou dealers de bas étages. Que ce sont nos parents qui nous poussent à faire cette vie car eux aussi sont dans le milieu. Mais c'est si loin de la vérité...les parents ne sont pas forcément à blâmer, je connaissais à Shinjuku bon nombre de prostituées qui s'occupaient à merveille de leurs enfants quand bien même il était difficile de leur donner tout ce dont ils avaient besoin pour manger et de leur faire comprendre que la rue était bien plus dangereuse qu'ils ne pouvaient le croire.

Pour les riches que nous côtoyons désormais, les bas quartiers sont un endroit insalubre qu'on ne peut purger, car ses habitants refusent tout simplement de changer de vie. C'est pour ça qu'on évite soigneusement cet endroit, qu'on le proclame lieu de non droits et qu'on laisse la vermine pulluler sans la contrôler. La vérité, c'est que les gens là-bas ont perdu tout espoir de s'en sortir. Combien vont réussir à quitter l'ouest pour ne serait-ce que se rapprocher de Chuo, quartier le plus accessible de tout l'est de la ville? Mon cher Kazuki était une exception qui se fait de plus en plus rare, tant la fatalité s'abat dans les esprits des gens là-bas. On prie pour ne jamais avoir d'enfant, mais on ne sait pas comment les empêcher de venir. Je n'ai appris que très récemment par Yoshimaru qu'il existait des moyens pour que les femmes n'aient pas d'enfant...je ne suis même pas sûr que ma pauvre mère était au courant, puisque je sais être un accident. Qui serait assez fou pour accueillir une troisième personne lorsqu'on peine déjà à manger à deux?

Les enfants bourgeonnent comme de petites fleurs des champs, mais la plupart perdent vite leurs parents et se retrouvent seuls, à la merci des rafleurs et autres dealers dégoûtants. Les mères meurent en couche faute de soins adaptés, les pères sont absents car la plupart du temps il s'agit de simples clients de maison close. Rares sont les gosses qui peuvent survivre seuls. Parmis ceux qui ne meurent pas de maladie, de difformité liée à la grossesse ou au style de vie de la mère, peu d'entre eux résistent aux rafleurs et à la dureté d'une vie dans la rue. Moi, j'ai été privilégié. J'ai pu connaître mes parents pendant une bonne dizaine d'années, avant de rejoindre les centaines de bambins qui écument les ruelles glauques de Shinjuku. Mais j'ai été raflé à mon tour. Je suis devenu ce qu'ils exècrent le plus; une putain.

C'est pour ça que je fais tout ça pour Tomoe. Je pense à ces gamins sans parents, abandonnés à la naissance parce qu'on a pas les moyens de les élever et que la mort serait plus douce pour eux qu'une vie de torture, de faim et de terreur. Mais je ne devrais plus penser comme ça, plus maintenant. Ca me fait toujours aussi mal de voir que je ne peux rien faire pour eux à ma petite échelle minable. Tant que Tanaka n'a pas décidé lui-même de mettre son nez dans les bas quartiers, cet endroit continuera d'être pourri, de regorger de vermines et de s'étendre sur les quartiers neutres non loin.

"Yoshi...promets-moi que personne ne cherchera à nous retirer Tomoe."

C'est ma plus grande crainte depuis que j'ai appris qu'il existait des "assistantes sociales". Nous avons réussi à mentir à celle qui était venue avant l'arrivée de la petite, lui faisant croire que le Birdcage n'était qu'un bar à strip tease et que je n'étais qu'un simple ouvrier de poissonnerie avant. Mais si elle revenait sans prévenir, histoire de vérifier nos dires? S'il était inscrit quelque part ce que je faisais avant? Je suis en permanence angoissé lorsqu'il s'agit de Tomoe. Même dans ce moment de détente pourtant, je ne peux m'en empêcher...c'est ma nature, après tout.

EXORDIUM.

Un petit sourire vient orner mon visage, sans que je sache moi-même s'il exprime ma tristesse ou mon soulagement. Oui, évidemment, cette conversation revient une nouvelle fois sur le tapis. S'il arrive quelque chose à mon mari, je dois savoir rester fort et vivre pour nos enfants. Pourtant, je sais très bien au fond de moi comment ça va se passer. Je vais encore les abandonner, pour ne pas changer. Tout ça parce que je suis beaucoup trop faible pour supporter une telle perte. La première fois que c'est arrivé, j'ai fini drogué à me faire tringler dans les ruelles sales de Shinjuku pour payer ma came, à me faire tabasser par des yakuzas de bas étages parce que j'avais pas payé mon loyer ou parce que j'ai osé demander un paiement supplémentaire à une ordure qui m'avait abîmé. J'ai essayé de me suicider plus d'une fois, aussi. Tout ça pour un homme que j'ai connu pendant quelques mois. Alors Yoshimaru? Cet ange déchu qui représente absolument tout pour moi? S'il venait à disparaître, je le suivrais tout simplement. Mais je préfère ne rien dire, me contente de l'enlacer et me blottir contre lui pour profiter de cet instant de calme. Je ne veux plus être inquiet en permanence, mais ce n'est pas de ma faute. Je ne peux user de ma volonté pour ça, tout simplement parce que je suis malade. Malade de la tête comme dirait mon petit Nagato, lui qui pose toujours des mots si simples pour décrire des choses beaucoup trop compliquées pour lui.

Je reste silencieux un moment, à écouter le calme alentour et l'eau qui coule de la fontaine non loin. C'est apaisant...ça chasse peu à peu mes idées noires, mes pulsions suicidaires aussi. Car même heureux, je ne peux m'empêcher de les ressentir de temps en temps. C'est de l'égoïsme pur, je sais...mais je n'arrive pas à m'en défaire. J'espérais qu'elles s'en iraient seules, ces envies, mais je crois qu'il est trop tard maintenant pour y penser. Elles font partie de moi comme un vestige du passé, une cicatrice qui ne peut se voir car elle se situe sous mon crâne. Je vais seulement devoir apprendre à vivre avec, et à les camoufler du mieux que je peux.

"Ah au fait, aujourd'hui, Tomoe-chan a appris un nouveau mot, j'avais oublié de te le dire. Elle m'a même presque fait une phrase complète! Comme je faisais des cookies pour Na-chan et Mi-chan, elle a voulu elle aussi avoir un cookie. Du coup elle m'a demandé un cookie à la banane...et elle a même dit s'il te plaît papa. Enfin elle a presque réussi à le dire. Mais comme elle n'a pas encore trop de dents j'ose pas lui donner de biscuits, du coup...je lui ai seulement fait un petit mélange. Elle était déçue, mais elle a mangé quand même."

Les aventures des Fujiwara...c'est autre chose que la survie dans les bas quartiers, mais je trouve ça tout aussi difficile. Notre fille aime faire comme moi, le souci...c'est qu'elle n'a pas les mêmes besoins et ne peut pas seulement manger ce que son père mange. Il y a des choses qu'elle ne peut pas encore avaler parce qu'elle ne peut pas croquer, quand bien même ses petites dents commencent à être toutes sorties. Je ne préfère pas faire de bêtises, aussi je regarde régulièrement sur l'internet comment s'occuper correctement de son bébé. Peut-être qu'au fond, je suis un bon père...mon sourire revient, plus joyeux cette fois.

"Par contre, elle m'a redit des gros mots...mais c'est de m'a faute, ça m'a échappé quand j'ai fait tomber un verre par terre. Elle enregistre tout, cette petite. Il faut toujours faire attention à tout..."

J'ouvre les yeux pour regarder mon amour pensivement. Le calme me donne envie de fumer une clope pour me détendre totalement, mais je doute que ce soit possible ici. Quoique...bon...autant demander, non? Ca ne coûte rien.

"Tu crois qu'on peut fumer ici? Je crève d'envie d'une clope, j'en ai eu que deux ou trois aujourd'hui et là j'commence à sentir le manque."

Ce n'est pas aujourd'hui que je vais pouvoir arrêter de fumer...mais c'est mon seul substitut à tout ce que je prenais avant, alcool compris; je ne pense pas pouvoir m'en passer un jour.

EXORDIUM.

Une clope, mon mari, un bon bain et une vue imprenable dans l'intimité la plus pure. Que demander de plus? C'est ici la définition du paradis au milieu d'un enfer sans fin. J'ai même l'impression d'avoir quitté Tokyo, c'est dire! Je soupire longuement après avoir tiré une longue latte sur ma cigarette, et esquisse un sourire apaisé en fermant les yeux. Ah...si on m'avait dit il y a quelques années que je vivrais tout ça, j'aurais sûrement ri au nez de la personne. Avant de m'effondrer en larmes devant lui, très probablement, car il s'agissait de mon rêve le plus cher avec celui de sortir de Tokyo. Les choses ont bien changé depuis que j'ai quitté les bas quartiers. J'en viens presque à me dire que la vie ici est supportable, malgré la peur constante qu'il arrive quelque chose à notre famille. Mais ça, ça doit aussi être lié au fait que les hommes de la maison sont des yakuza, donc à mon avis même à l'extérieur il y aura toujours cette peur. Il va falloir que je m'y habitue pour ne pas crever bêtement d'une crise cardiaque au moindre son brutal. C'est dingue, je vivais dans des conditions déplorables à Shinjuku, dans un danger permanent et risquant sans cesse ma vie, mais je n'étais pas plus inquiet que ça. C'était le quotidien, la moyenne d'âge pour les gens qui restent là-bas ne dépasse que rarement les quarante ans. Je ne pouvais rien y faire...c'est peut-être pour ça que maintenant que le quotidien est devenu plus facile, je suis plus inquiet. Paradoxal, mais c'est comme ça.

"Moi non plus, tu sais. J'ai toujours cru que j'allais crever comme une merde d'une overdose dans une ruelle dégueulasse."

Ce qui en soi était près d'arriver si je n'avais pas rencontré cet homme qui est devenu toute ma vie après ça. Kazuki me dit que j'ai bien joué mon coup, mais je n'ai rien fait...j'ai seulement essayé de fuir, de rester dans une situation déplorable, et il m'en a extirpé de force. J'ouvre les yeux pour terminer ma cigarette, bois une gorgée de coca et viens me blottir dans ses bras. J'ai envie de sceller notre amour dans ma chair, une fois de plus...mais ce n'est peut-être ni l'endroit, ni le moment pour le faire. Pourtant, lorsque je le regarde dans les yeux, je peux lire cette même lueur d'envie qui les fait briller comme deux pierres précieuses.

"Je t'aime tellement...mon ange..."

Ma main vient caresser sa joue, et je viens lui voler un baiser profond qui nous fait soupirer tous les deux d'aise. Il n'y a rien à faire, c'est vraiment délicieux de faire l'amour avec un être qui nous est cher. Je grimpe à moitié sur lui, les jambes de part et d'autre de son corps, à onduler lentement sur son bassin pour faire grimper l'envie. Je sais qu'il ne peut pas me résister. Il m'aime beaucoup trop pour ça, et...ah. Je suis à ses yeux l'homme le plus important du monde, et ça, ça me rend heureux et m'effraie en même temps. Je n'ai pas envie de réfléchir, cependant; je préfère me laisser aller à la luxure, celle-là même qui nous lie tous les deux lorsque nous avons un moment seuls; ce qui n'arrive que rarement depuis que Tomoe est à la maison, je dois avouer.

EXORDIUM.